Vérité et Réconciliation en Asie du Sud-Est: quelles leçons pour le Canada ?
David Webster, Bishop’s University
Est-ce que les historiens peuvent être des artisans de la paix ?
De récentes expériences avec les processus de vérité et de réconciliation en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique du Sud-Ouest suggèrent qu’ils le peuvent. Il y a un rôle pour la recherche historique et la mémoire afin d’aider à bâtir une paix durable et d’apporter la stabilité dans des pays secoués par des guerres civiles.
Le fait d’ignorer des violences passées mine les efforts visant la consolidation de la paix.
À la suite de conflits et de crimes contre l’humanité, de plus en plus de pays forment une Commission de vérité et réconciliation (CVR). Il s’agit d’un outil développé pour être utilisé dans des pays moins développés qui émergent de conflits. Mais on l’a également appliqué au Canada : la CVR s’est penchée sur le douloureux héritage des pensionnats indiens. Elle a publié son rapport en décembre 2015.
La vérité n’a aucune frontière. Et c’est également de plus en plus le cas pour les commissions de vérité.
Il y a des leçons qu’on peut tirer de ce qui se passe ailleurs. Par exemple, un projet de recherche basé à l’Université Bishop’s vise à comparer les commissions de vérité et réconciliation en Indonésie, au Timor-Leste et aux Iles Salomon– trois pays ayant des expériences très différentes de CVR – et d’évaluer ce que le Canada pourrait faire pour aider.
Un conflit très sanglant
Le Timor-Leste (Timor oriental) a été occupé par l’armée indonésienne pendant 24 ans (1975-1999). Celle-ci a commis des massacres et des crimes contre l’humanité. Aujourd’hui, le Timor-Leste est un état démocratique qui demeure le plus pauvre d’Asie.
Après la chute de la dictature Suharto d’Indonésie en 1998, un référendum parrainé par les Nations-Unies a vu les Timorais choisir massivement l’indépendance (78,5%). Après une vague de massacres et de violences commises par les forces pro-indonésiennes, la pression internationale a forcé l’Indonésie à accepter une force de maintien de la paix.
Fondée sur un consensus parmi les dirigeants timorais, les Nations Unies a autorisé la Commission sur l’Accueil, la Vérité et la Réconciliation (CAVR). En 2005, la Commission a livré son rapport, intitulé Chega! (Assez). Ses conclusions ont été soutenues en 2008 par une commission de vérité novatrice bilatérale timoraise-indonésienne, la première du genre au monde, une collaboration entre deux nations.
Que peut faire le Canada ?
Une décennie plus tard, un fait demeure: il faut propager et diffuser au maximum ces rapports.
Ceci est surtout vrai pour des pays comme le Canada, qui a aidé à financer le rapport Chega! et qui a joué un rôle dans les événements que celui-ci décrit. Le gouvernement du Canada était au courant des plans de l’armée indonésienne d’envahir le Timor-Leste en 1975 et était conscient des atrocités commises au cours de cette période d’occupation. Mais il a continué de soutenir la domination indonésienne jusqu’en 1998.
Jusqu’à maintenant, Ottawa n’a pas encore reconnu son passé de complicité dans les atrocités commises au Timor-Leste.
Le Canada peut encore apporter une précieuse contribution au travail inachevé de vérité et de réconciliation au Timor-Leste. Ceci inclut de promouvoir le rapport à l’échelle mondiale; de présenter ses excuses pour avoir approvisionné l’Indonésie en équipement militaire de 1975 à 1999 ; de refuser d’accorder un visa à tout officier indonésien dont le nom apparaît dans le rapport Chega! pour violations des droits de la personne; et de soutenir les recours aux victimes timoraises.
Ces actions répondrait aux recommandations du rapport Chega! et peuvent être coordonner avec le nouveau Centre national Chega!, le centre timorais pour la vérité et la réconciliation.
L’exemple des Îles Salomon
L’autre commission de vérité dans la région est celle des Îles Salomon, créée après un conflit interne qui a fait rage de 1998 à 2003. La Commission de vérité et réconciliation des Îles Salomon s’est appuyée sur le modèle de la CVR de l’Afrique du Sud. Malheureusement, son rapport n’a pas été débattu au parlement – mais publié en ligne.
Pour assurer la continuité de la paix aux Îles Salomon, il faut un débat public et la réalisation du rapport de la commission de vérité.
Encore là, le gouvernement canadien a un rôle à jouer: il pourrait se renseigner auprès du gouvernement des Îles Salomon quant à l’avancement des travaux en vue de la réalisation du rapport de la Commission, et soutenir les efforts des églises et de groupes de la société civile pour le propager.
Une comparaison entre les deux commissions de vérité qui ont opéré dans cette région, au Timor-Leste et aux Îles Salomon, indique que les deux ont déployé des efforts importants dans le but de bien représenter les préoccupations du grand public à l’égard des hommes et des femmes et afin d’intégrer les traditions indigènes dans le travail de leurs commissions de vérité.
Les deux pays ont tenté de considérer les facteurs économiques menant aux violations des droits de la personne. Ils ont des leçons à enseigner au monde à l’échelle mondiale.
En d’autres mots, le Canada a beaucoup à apprendre ici, et non seulement des leçons à enseigner aux autres.
Encourager les échanges à deux sens
Ceci nous ramène au Canada, le seul pays occidental développé à avoir tenu une commission de vérité complète. En tant que pays aux prises avec ses propres héritages de violence, le Canada est bien placé pour tenir compte des questions de vérité et de réconciliation qui s’entrecroisent, de souvenirs, de traumatismes et de crimes contre l’humanité.
Le Canada a également beaucoup à apprendre en ce qui a trait à mieux mettre en œuvre les conclusions des commissions de vérité : le Timor-Leste a créé en 2017 une institution de suivi permanente pour réaliser les recommandations du rapport Chega!. Quant à la province indonésienne d’Aceh, celle-ci a formé récemment la première commission de vérité permanente au monde. Et celle-ci ne fermera pas ses portes après qu’elle ait remis son premier rapport.
En d’autres mots, on ne peut qu’encourager les échanges entre les citoyens du Canada et ceux d’Asie du Sud-Est sur la vérité et la réconciliation.
La vérité traverse les frontières. La réconciliation et la mémoire aussi. La politique canadienne peut traverser les frontières, elle aussi.
David Webster, Associate Professor of History, Bishop’s University
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.